RE-ST Architectenvennootschap, Atelier Kempe Thill et Studio Contekst ont remporté le concours international pour la reconversion de la brasserie Atlas à Anderlecht. Leur projet, sélectionné parmi plusieurs propositions solides, apporte une réponse claire à une question complexe : comment transformer un site industriel stratifié en un environnement résidentiel de qualité, sans perdre la valeur patrimoniale ni le caractère du lieu ? Les maîtres d’ouvrage LIFE et B&R Development ont dès le départ souhaité une affectation durable et tournée vers l’avenir pour ce site situé à proximité du canal de Bruxelles. Le choix de conférer à la tour art déco une fonction publique et de concentrer le programme résidentiel dans un nouveau volume constitue le cœur du projet. Le résultat est une opération qui relie patrimoine, architecture et vie communautaire de manière réfléchie. La tour reste le point de repère du site, mais elle prend un tout nouveau sens dans sa relation avec le quartier et ses habitants.
La brasserie Atlas se situe comme une île autonome au sein du tissu urbain d’Anderlecht. Le site a évolué avec le développement industriel de Bruxelles aux XIXe et XXe siècles, le canal jouant le rôle de colonne vertébrale logistique. En 150 ans, le site a continuellement changé de forme et de fonction. Aujourd’hui, il subsiste un ensemble éclectique de bâtiments, allant d’entrepôts en briques à l’iconique tour de brassage. Cette physionomie particulière est à la fois un témoin historique et une source d’inspiration pour la reconversion. Dans un contexte urbain plus large, le site fait partie d’une vaste zone de réaménagement le long du canal, où habitat, emploi et espaces publics doivent se renforcer mutuellement.
L’équipe de conception ne part pas d’une tabula rasa, mais d’une « tabula scripta » – une page écrite. Chaque bâtiment a été minutieusement analysé en termes de valeur historique, architecturale et physique, mais aussi de valeur résiduelle : le potentiel de réutilisation des matériaux, typologies et ambiances. Cette approche aboutit à un projet qui considère les structures existantes non comme des obstacles, mais comme des atouts. En valorisant ce qui subsiste, on adopte une démarche empathique de conception patrimoniale. Il ne s’agit pas seulement de préserver l’apparence, mais de prolonger en substance le passé industriel du lieu.
Le nouveau volume organise le site autour de deux cours : un espace public près de la tour et une cour résidentielle au nord. Cette division offre à la fois ouverture et intimité, avec une transition fluide du public au privé. L’ensemble forme une nouvelle figure urbaine cohérente avec son contexte. La tour reste entièrement visible depuis la rue et agit comme point de repère. Le nouveau bâti renforce cette lisibilité tout en créant de l’espace pour la densité urbaine. La volumétrie prend en compte l’échelle, les perspectives et la valeur patrimoniale, et évite les surélévations qui pourraient nuire aux bâtiments historiques.
La monumentale tour de brassage des années 1930 reçoit une nouvelle affectation en tant qu’espace public et collectif. La façade art déco et les plateaux industriels ouverts sont conservés. L’intérieur accueillera des fonctions telles que des ateliers, une salle de sport, un sauna et une terrasse sur le toit pour les résidents. Les volumes caractéristiques qui abritaient autrefois les cuves de brassage peuvent servir à des usages publics comme une galerie d’art ou une microbrasserie. La tour devient ainsi un lieu de rencontre pour le quartier et un point d’ancrage collectif pour les habitants. Elle retrouve son rôle de repère, non plus comme symbole de production, mais d’interaction sociale.
Le nouveau volume, qui relie les bâtiments historiques, est conçu comme un élément fonctionnel et discret. Il abrite le stationnement, la circulation et les équipements techniques, libérant ainsi les bâtiments historiques d’interventions lourdes. La structure légère en béton et la façade en briques de réemploi lui confèrent une apparence contemporaine en harmonie avec le contexte. Cette stratégie permet de densifier le site sans nuire à sa valeur patrimoniale. Le projet mise sur une densité élevée à faible hauteur, adaptée à l’échelle du quartier et économiquement réalisable.
Grâce à sa proximité avec la station de métro Aumale et la gare de Bruxelles-Midi, le site se prête parfaitement à une mobilité durable. Il est entièrement piéton, sauf pour les livraisons à la tour. Voitures et vélos sont stockés en sous-sol, accessible par un portail historique. Cette disposition permet de végétaliser pleinement les cours intérieures et de les activer comme espaces extérieurs de qualité. Un parking vélo central sous le nouveau volume, accessible via une rampe et un ascenseur, facilite l’usage du vélo pour les habitants et les visiteurs. Des voitures et vélos partagés pourront être intégrés ultérieurement.
Les deux cours possèdent chacune leur propre caractère. La cour publique autour de la tour est aménagée de manière urbaine, avec pavés et verdure, tandis que la cour résidentielle est plus informelle et foisonnante, avec potager, coins pique-nique et bassin d’infiltration des eaux de pluie. Les résidents accèdent à leur logement via des sentiers informels traversant la végétation. Les espaces extérieurs prolongent ainsi les logements et renforcent le microclimat du site. Le site reste traversable en journée, mais peut être fermé la nuit. La transition du public au privé est clairement marquée par la position des bâtiments, balcons et espaces verts.
L’offre résidentielle est volontairement diversifiée : studios pour étudiants, logements pour jeunes ménages, duplex spacieux et unités de cohabitation. Le projet comprend au total 130 logements. Certains prennent place dans les bâtiments existants, d’autres dans le nouveau volume. Il y a également de la place pour des formes d’habitat innovantes comme des buanderies partagées, une chambre d’amis et un atelier vélo. L’offre répond aux besoins démographiques et favorise les interactions sociales. Les logements sont conçus de manière flexible et répondent aux nouvelles normes bruxelloises de qualité résidentielle. Des espaces extérieurs collectifs au rez-de-chaussée et sur les toits stimulent les rencontres.
L’aménagement des logements dans les bâtiments historiques respecte au maximum l’existant. Dans les anciennes écuries, des éléments caractéristiques comme les auges, colonnes en acier et sols en pavés sont conservés. Studio Contekst a conçu des intérieurs intégrant ces éléments dans de nouvelles fonctions : les auges deviennent armoires à chaussures ou jardinières, renforçant le caractère unique de chaque logement. L’ambiance industrielle sobre est conservée et mise en valeur par des interventions contemporaines.
Le projet repose sur une logique circulaire : tuiles, structures en acier, maçonneries et pavés sont réemployés sur site. Les matériaux non réutilisables in situ sont valorisés ailleurs. Les ajouts sont conçus à base de matériaux biosourcés, démontables et flexibles. Le réemploi n’est pas seulement écologique, il contribue aussi à la continuité du lieu. Un atlas de réemploi répertorie tous les éléments de valeur et guide les restaurations et ajouts. Ainsi, le site prolonge son histoire à la fois matériellement et immatériellement.
Les bâtiments, anciens comme nouveaux, sont conçus comme des supports flexibles. Des structures en béton et en bois permettent une adaptation dans le temps. Les nouvelles techniques sont préfabriquées et pensées selon les principes du cradle-to-cradle. L’outil TOTEM a permis d’évaluer chaque choix de matériaux sur le plan de la durabilité. Ce projet est ainsi prêt à s’adapter aux évolutions futures de l’habitat et des usages. Les nouveaux volumes sont neutres sur le plan fonctionnel, et pourront recevoir d’autres affectations à l’avenir, sans modifications lourdes.
La cohérence du projet est le fruit d’une collaboration intense entre architectes, maîtres d’ouvrage et bureaux d’études. LIFE et B&R Development ont laissé l’espace à une conception valorisant le patrimoine et centrée sur la durabilité. Studio Contekst a prolongé cette vision jusque dans les intérieurs. Cette collaboration a abouti à une structure urbaine à la fois lisible et habitable. Le choix de rendre la tour collective et de miser sur une diversité typologique de logements découle d’une vision partagée de l’habitat urbain.
La transformation de la brasserie Atlas prouve que le patrimoine n’est pas un frein à l’innovation urbaine. Au contraire, en misant sur la conservation, le réemploi et la vie collective, le site redevient un lieu porteur de sens à Anderlecht. La tour art déco fait figure de phare pour l’avenir, non plus comme objet architectural seulement, mais comme moteur social pour le quartier. Le projet illustre comment une conception empathique et intelligente du patrimoine peut contribuer à une ville inclusive et durable.