Il y a une semaine, Zaha Hadid décédait inopinément. Architectura.be est parti à la recherche de Belges qui ont connu la reine des courbes. Gert Biebauw du Bureau Bouwtechniek en fait partie puisqu'il a travaillé récemment avec Zaha Hadid Architects dans le cadre de la nouvelle maison portuaire d'Anvers. « Je peux comprendre qu'un génie ait des difficultés avec la médiocrité. »
En quoi Zaha Hadid était-elle une architecte d'exception, selon vous ? Quelle a été sa contribution à l'architecture contemporaine ?
L'architecture de Zaha Hadid est celle du mouvement, de la dynamique et elle vous détache de la réalité. Les surfaces planes deviennent des vagues, tournent, se tordent. Les lignes se séparent pour se retrouver après avoir contourné la moitié du bâtiment. Cette architecture unique a inspiré de nombreux architectes. Par ailleurs, son parcours est particulier : en tant que femme d'origine étrangère en Grande-Bretagne, elle a dû se battre contre les valeurs établies.
Ses réalisations et ses idées ont également donné une impulsion à innover dans différents domaines. Notamment en informatique quand il s'agit de développer des logiciels toujours plus performants, capables de modéliser un tel langage architectural. Mais aussi en ingénierie, pour trouver de nouvelles approches de calcul des structures complexes. De nouveaux matériaux et techniques de production ont aussi été mis au point pour rendre possibles ses réalisations.
Comment s'est passé la collaboration avec elle ?
La collaboration avec l'équipe de Zaha Hadid a été et est toujours très fluide. Elle se caractérise par un travail acharné, un respect mutuel, une grande ouverture et beaucoup de dialogue.
Comment était-elle en tant que personne ? Elle avait la réputation de ne pas être facile. Cela s'est-il vérifié avec vous ?
Je ne l'ai rencontré qu'une seule fois, je ne suis donc pas bien placé pour m'exprimer sur elle en tant que personne. Qu'elle n'ait pas été facile dans sa vie professionnelle, est une qualité voire une exigence pour atteindre le niveau qu'elle a atteint. Je peux comprendre qu'un génie ait des difficultés avec la médiocrité.
Comment a débuté la collaboration entre votre bureau et celui de Zaha ?
L'un de nos collaborateurs est parti poursuivre des études à Londres et a ainsi pu travailler chez ZHA. Lorsque le concours pour la maison portuaire d'Anvers s'est présenté, ce fut donc une occasion idéale pour entamer une collaboration. Pour notre bureau, ce fut le début d'une série de collaborations avec Zaha Hadid Architects.
Qu'est ce qui fait de la Maison portuaire un projet si passionnant ?
Nous avons été passionnés par les différents défis techniques posés par le projet, en particulier le concept de la façade pour lequel nous avons suivi un trajet intensif allant de la soumission pour le concours jusqu'à la réalisation.
Pour notre bureau, la maison portuaire fut également l'occasion de mener nos projets dorénavant en BIM. Cela a changé notre façon de travailler.
Des critiques ont été formulées par rapport à ce projet, notamment quant à son coût ? Ces critiques sont-elles justifiées ?
La mission consistait en la conception et la réalisation d'un bâtiment iconique dont on parlerait dans le monde entier. Ce genre de bâtiments a par définition un prix élevé, donc je ne comprends pas bien la critique.
Les architectes ne sont pas tous fervents admirateurs de Zaha Hadid parce qu'elle se comportait comme une star et créait une architecture très (trop ?) spectaculaire. Comprenez-vous ces critiques ?
On ne peut pas qualifier ses projets de modestes ou mesurés mais, que l'on soit pour ou contre, on ne peut pas nier qu'elle ait eu un talent incroyable.
Je lisais récemment le discours de Peter Cook lors de la remise de la golden medal par la RIBA à Zaha Hadid, et la citation qui suit résume bien selon moi la situation : "Such self-confidence is easily accepted in film-makers and football managers, but causes some architects to feel uncomfortable, maybe they’re secretly jealous of her unquestionable talent. Let’s face it, we might have awarded the medal to a worthy, comfortable character. We didn’t, we awarded it to Zaha: larger than life, bold as brass and certainly on the case. Our Heroine. How lucky we are to have her in London."
Zaha Hadid se consacrait-elle encore à la conception ou était-elle davantage un manager ?
Selon moi, elle s'impliquait encore dans la conception des projets même si la taille de son bureau rendait difficile de suivre l'ensemble des projets dans les moindres détails.
Avec la disparition de sa figure de proue, le bureau de Zaha Hadid peut-il continuer comme avant ?
Le bureau compte certainement de grands talents et des collaborateurs forts qui vont pouvoir poursuivre les projets. Même si je suis curieux de voir comment le bureau va gérer cette disparition...