“La garantie ne peut pas être un argument de vente”

La détermination de garantie pour les toitures (plates) est un thème prêtant souvent à discussion, particulièrement entre fabricants d’étanchéités de toiture et entrepreneurs d’étanchéité. Ce cinquième article de la série Bitubel sur les toitures plates bitumineuses détaille cette problématique épineuse. Marc Hannes, président de Bitubel, nous éclaire en décrivant les sensibilités et en prodiguant quelques conseils aux maîtres d’ouvrage et aux architectes.

 

Marc Hannes : En Belgique, une garantie de bonne exécution de dix ans est en vigueur (responsabilité décennale). Comme les entrepreneurs d’étanchéité tombent sous la législation applicable aux entrepreneurs, ils sont responsables pendant dix ans pour le système de toiture qu’ils ont placé. Les fabricants travaillent cependant selon une logique totalement différente, ce qui peut parfois mener à des contradictions fondamentales quant à la garantie accordée.

 

De quelle autre logique et de quelles contradictions parle-t-on ?

Les fabricants de membranes bitumineuses savent que leurs systèmes durent en principe de vingt à quarante ans et pourraient donc facilement accorder une garantie plus longue sur les matériaux. Mais les entrepreneurs d’étanchéité travaillent sur base du délai légal de garantie de dix ans. S’ils se trouvent confrontés à des garanties plus longues sur les produits, ils peuvent se retrouver dans une situation inconfortable.  Imaginons que le maître d’ouvrage reçoit du fabricant une garantie de quinze ans sur le matériau, l’entrepreneur d’étanchéité sera tenté ou se sentira obligé d’offrir une garantie de bonne exécution de même durée, même si cela entraîne un risque important. Dans le pire des cas, cela va mener à une véritable surenchère sur la garantie entre différents entrepreneurs en étanchéité en concurrence pour un même chantier – qu’elle soit organisée ou non par le maître d’ouvrage, qui trouve évidemment son avantage dans un délai de garantie de bonne exécution plus long. L’ABEE, Association Belge des Entrepreneurs d'Etanchéité, s’est déjà régulièrement manifestée à ce sujet pour défendre ses membres.

 

Pourquoi offrir une plus longue garantie de bonne exécution est-il un problème pour les entrepreneurs d’étanchéité ?  

Tout d’abord, force est de constater que la garantie décennale est fixée par le législateur, ce qui la rend claire aussi bien pour le maître d’ouvrage que pour l’entrepreneur. Des délais de garantie plus long ne sont pas décrits et sont donc sujets à interprétations.  

Celui qui accorde une garantie s’engage à solutionner gratuitement d’éventuels problèmes d’étanchéité à l’eau, et ce pendant une certaine période.  Cela comprend donc un risque pour la rentabilité de l’entreprise. En allongeant la durée de garantie, ce risque augmente. Ce qui peut avoir un impact négatif sur la valeur de l’entreprise. Pour le dire simplement : plus longues sont les garanties que vous accordez et plus de garanties en cours vous avez, plus basse est la valeur potentielle de votre entreprise. Ce n’est pas insurmontable en soi mais, en cas de reprise éventuelle – ce qui n’est pas rare dans le petit monde des couvreurs – cela peut jouer en défaveur des propriétaires qui veulent revendre leur affaire. L’ABEE veut éviter cela à tout prix pour que la situation de ses membres reste viable.  L’association a donc demandé à tous les détenteurs d’ATG pour des systèmes d’étanchéité de toiture – qu’ils soient fabricants, distributeurs ou importateurs de systèmes agréés ATG – de s’en tenir à la garantie légale (et donc univoque) décennale en vigueur en Belgique.  Depuis lors, les fabricants s’en tiennent aussi en principe à une garantie de dix ans sur les produits, même s’il s’agit là pour eux d’une loi non écrite.

Ce dont il est aussi question et qui fait également partie de la détermination de garantie, c’est (le besoin et l’obligation de) l’entretien périodique du système d’étanchéité placé. Un entretien annuel des toits plats est consigné dans les normes belges et est également repris expressément dans la NIT 215 du CSTC. Nous savons par expérience que cela ne se fait pas toujours de manière structurelle, ni du chef du maître d’ouvrage, ni à l’initiative de l’entreprise d’étanchéité. On conclut encore beaucoup trop rarement un contrat d’entretien. Pourtant, c’est là une condition essentielle pour garder la toiture en bon état (nettoyer la surface de toiture, vérifier la qualité du revêtement, contrôler les joints et raccords, …). Sans certitude sur un entretien qualifié, de longues périodes de garantie comportent un risque pour les entrepreneurs d’étanchéité.

 

“Tout le monde ne respecte pas strictement les accords (non contraignants) avec les entrepreneurs d’étanchéité. Certains utilisent le délai de garantie comme un argument purement commercial.”

 

Cela vaut-il pour tous les toits plats et toutes les applications de toiture ? Ou existe-t-il des exceptions ?

À ma connaissance, la seule exception est celle d’une toiture sur laquelle sont posés des panneaux solaires. Pour ceux-ci, la durée de subvention par les pouvoirs publics est parfois de vingt ans, et leur installation s’accompagne généralement du placement d’une nouvelle étanchéité de toit. Pour éviter de devoir enlever les panneaux après dix ans pour rénover l’étanchéité de toit, on applique par facilité à cette dernière un même délai de garantie de vingt ans.

 

Ce gentlemen’s agreement est-il toujours bien respecté dans les faits ? On voit toujours sur certains dépliants des mentions comme ‘cinquante ans de garantie’…

Il s’agit heureusement d’exceptions mais, en effet, tout le monde ne s’en tient pas strictement aux accords (non contraignants) avec les entrepreneurs d’étanchéité et l’ABEE.  Certains utilisent le délai de garantie comme un argument purement commercial. Je suis cependant d’avis que, quand on écrit quelque chose noir sur blanc, on doit pouvoir le prouver avec des faits et des chiffres. Chez Bitubel, nous laissons par exemple les fabricants faire réaliser régulièrement des études de longévité par des bureaux indépendants. Ceux-ci inspectent toute une série de toits dans différentes zones climatiques et mènent des tests approfondis en laboratoire pour pouvoir déterminer objectivement la durée de vie d’une certaine étanchéité de toit.  Il s’agit là d’un bon indicateur, pas de simple marketing. De tels éléments, relatifs à la qualité intrinsèque du produit, peuvent être communiqués par le fabricant.

Quand un fabricant ou un importateur commence à jouer avec les garanties, il marche sur les plates-bandes de l’installateur. Jusqu’il y a peu, on pouvait raconter ce que l’on voulait même si cela ne correspondait pas avec l’assurance incluse dans l’offre de garantie.  Heureusement, cela est en train de changer avec l’arrivée des LCA (Life Cycle Analysis) et des EPD (Environmental Product Declaration) qui, grâce à leur caractère objectif et à leurs valeurs environnementales concrètes, permettent aux maîtres d’ouvrage et aux architectes de juger et de comparer en toute connaissance de cause. Dans le cadre de l’établissement des déclarations environnementales de produit, par lesquelles le fabricant prend position sur la longévité de ses systèmes de toit, il est important de pouvoir justifier cette durée de vie au moyen de rapports officiels établis par des instances indépendantes.

 

« Jusqu’il y a peu, on pouvait raconter ce que l’on voulait. Heureusement, cela est en train de changer avec l’arrivée des LCA (Life Cycle Analysis) et des EPD (Environmental Product Declaration) qui, grâce à leur caractère objectif et à leurs valeurs environnementales concrètes, permettent aux maîtres d’ouvrage et aux architectes de juger et de comparer en toute connaissance de cause. »

 

En Belgique, le maître d’ouvrage peut compter sur une garantie de dix ans. Qu’en est-il dans les pays voisins ?

Il n’existe pas à ma connaissance de cadre législatif européen, il faut donc examiner la situation pays par pays. Ce qui signifie que des règles différentes valent pour l’export, ce qui est parfois l’occasion de constructions créatives. Dans certains pays, les deux premières années après placement sont garanties par l’entrepreneur d’étanchéité. Ce qui est ensuite complété par une garantie assurée de huit ans (y compris placement des matériaux de toiture), par laquelle l’assurance dédommage la réparation d’éventuels vices de pose. Certains fabricants offrent ensuite encore de cinq à dix ans de garantie supplémentaire. Ou l’on tente de conclure encore une assurance de garantie sur le produit pour ces cinq à dix ans de plus. Certains offrent quinze ou vingt ans, avec assurance externe ou pas, simplement avec une couverture de garantie sur le produit ou couvrant aussi parfois le placement.

Avec une bonne dose de créativité, on arrive ainsi à un délai de garantie de quinze à vingt ans. Pour le maître d’ouvrage, cela ne rend pas les choses plus claires, bien au contraire !  Pour nous en tant que fabricant, face à des garanties aussi longues, il est crucial qu’il soit question d’un ‘installateur certifié’ (assurance quant à la formation et à la qualité du placement) et d’un contrat d’entretien, de sorte que les entrepreneurs d’étanchéité puissent inspecter et nettoyer régulièrement le toit et que la qualité soit vraiment garantie.

 

Qu’en est-il de l’assurance accompagnant la garantie ? Est-elle toujours fiable ?

Dans notre pays, les fabricants de membranes bitumineuses de toit – membres de Bitubel – ont tous conclu une assurance, mais les polices peuvent varier entre elles. Je ne suis pas en mesure d’affirmer que les entrepreneurs d’étanchéité font assurer tous leurs travaux. Certains assureurs n’accordent que dix ans, d’autres plus longtemps – moyennant la prise en compte de certaines conditions. Certains assurés paient le montant correspondant à la durée totale en une fois, d’autres optent pour un amortissement annuel. Imaginons qu’un assuré (fabricant ou entrepreneur d’étanchéité) ne paie plus sa prime d’assurance après de nombreuses années et qu’un problème se pose, les maîtres d’ouvrage peuvent alors se retrouver confrontés à une désagréable surprise parce que leur toit n’est plus assuré. En matière d’assurances de garantie, il est bon de vérifier s’il y a une couverture formelle, ou s’il s’agit seulement de belles paroles emballées dans des termes compliqués.

 

« En matière d’assurances de garantie, il est bon de vérifier s’il y a une couverture formelle, ou s’il s’agit seulement de belles paroles emballées dans des termes compliqués. »

 

Avez-vous pour conclure quelques conseils concrets pour les maîtres d’ouvrage et les architectes quant à la garantie des toitures plates ?

Examinez surtout les faits et les chiffres et méfiez-vous des perceptions qui sont souvent trompeuses et parfois même mensongères. Si un fabricant offre une assurance gratuite liée à son produit, vérifiez bien ce que comprend précisément la police, ce qui est couvert et ce qui ne l’est pas, et si elle comporte une franchise exorbitante. La garantie est en Belgique une qualité de base, pas une valeur ajoutée. Accordez de l’importance à ce qui fait vraiment la différence, comme la longévité attestée des produits et systèmes de toit. L’EWA (European Waterproofing Association), dont font partie quasiment tous les fabricants européens de membranes bitumineuses de toit, va bientôt rassembler tous les rapports de longévité de produits d’étanchéité de toit. Ceci afin de mener un ‘peer review’ dans le cadre de la publication d’un EPD détaillé pour les toitures bitumineuses en Europe.

 

Vous trouverez plus d’informations sur les toitures plates bitumineuses sur www.bitumeninfo.be

Source: Bitubel
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