Il y a quelques semaines, architectura.be a réuni douze spécialistes de la restauration et du patrimoine. La restauration de bâtiments anciens et historiques se prête-t-elle à l’utilisation d’idées et de technologies modernes, tels que le BIM ou la construction circulaire ? C’était l’un des sujets brûlants de cette table ronde.
Le BIM joue de plus en plus un rôle indispensable dans tout processus de conception moderne. Est-ce également le cas dans les restaurations ? Pas vraiment, apparemment : « Le BIM rend le processus de construction plus rapide et plus efficace et pourrait donc conduire à une restauration de meilleure qualité. Cependant, nous remarquons que le BIM n’est pas utilisé dans tous les projets de restauration. Et que, dans le passé, on arrivait à réaliser de très bons projets de restauration sans le BIM », note Yves Vanhellemont (CSTC).
Pour Yannick Leroi (LEROBEL), « un bâtiment historique est souvent trop complexe pour être intégré dans un modèle BIM simplifié. La technologie n’est pas encore assez développée et le BIM n’accélère vraiment pas nos processus : les coûts d’utilisation du BIM dans un bâtiment historique sont bien plus élevés. Un avantage majeur du BIM est que, dans quelques décennies, vous pourrez toujours indiquer précisément quelles interventions ont été faites et à quels endroits. Alors que de nos jours, il est souvent très difficile de reconstituer les interventions dans une restauration des années ’70, par exemple. »
Ruben Braeken (B + Architecten) doute également de la valeur ajoutée du BIM dans les applications de restauration. « Le BIM est très intéressant si la technologie garantit que vous pouvez obtenir des résultats maximaux avec le moins d’effort possible. Mais, pour une restauration, de nombreux ajustements du modèle BIM sont nécessaire. Je pense que le BIM a encore beaucoup de chemin à faire pour être utile et utilisé dans des projets de restauration. »
« Le BIM est davantage d’application dans les nouvelles constructions », confirme Jan De Busser (Renotec). « En restauration, nous faisons souvent à des anomalies, que nous devons mesurer sur place. Le BIM manque alors son but. Personnellement, je suis déjà très heureux lorsque de bons plans de conception existent… »
« Pour de nouvelles constructions, nous dessinons avec un modèle BIM, dans un projet de rénovation, nous réalisons toujours des compromis », précise Eddy De Baets (Ingenium). « Lorsqu’il s’agit d’un bâtiment assez simple, avec peu de différences de niveau, nous pouvons travailler avec un modèle BIM simplifié. Car le BIM est un outil pratique pour voir immédiatement ce qui a été utilisé dans un projet. Il favorise un fonctionnement efficace. »
Cela ne veut cependant pas dire que les restaurations ne peuvent pas bénéficier de nouvelles techniques. « Nous utilisons des drones ou d’autres solutions innovantes pour scanner les bâtiments. Cela permet ensuite de positionner correctement l’échafaudage et d’éviter autant que possible les discussions sur le chantier », complète Jan De Busser. Yannick Leroi (Lerobel) partage la même expérience : « Nous mettons en pratique de nouvelles techniques pour surveiller le processus de A à Z. C’est ainsi que chaque pierre, par exemple, se voit attribuer un numéro. » « Mais cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas pleinement engagés dans la numérisation et l'innovation dans la restauration », ajoute Jan De Busser.
Pour Isolde Verhulst (PERSPECTIV Architecten), « une version simplifiée du BIM, depuis la préparation des plans jusqu'à la livraison des travaux, telle que nous l’appliquons avec succès depuis dix ans, permet de retracer plus facilement les interventions en cours à l'avenir. C’est particulièrement important pour pouvoir suivre l'impact des nombreux traitements chimiques appliqués aux bâtiments et les traiter correctement par la suite. »
Construire circulaire
Tous les participants à la table ronde sont convaincus qu’une restauration réussie est un bon exemple de circularité. « Réutiliser tout ce qui est utilisable : telle est la philosophie de la construction circulaire, et c’est aussi l’objectif de tous ceux qui restaurent », explique Yves Vanhellemont. « Dans une restauration pure, nous avons pour mission de conserver le plus possible et de bien séparer les flux de déchets afin, plus tard, de pouvoir faire quelque chose avec les matériaux », complète Jan De Busser.
Cela ne signifie pas, cependant, que la plupart des entrepreneurs ou des concepteurs maîtrisent suffisamment les principes circulaires. Paul Penners (Kloeckner Metals) : « Nous remarquons que de nombreuses entreprises actives dans le secteur de la restauration opèrent encore de manière traditionnelle. Pour ceux-là, la circularité est loin de leurs préoccupations, car les concepts et les méthodes linéaires sont fortement ancrés dans leur façon de travailler. »
Tout le monde n’est pas d’accord. Pour Philippe Lemineur (Origin Architecture & Engineering), « tous les acteurs d’un projet ne pensent pas automatiquement en terme de circularité, mais une fois qu’ils ont reçu un petit coup de pouce, des solutions circulaires émergent. » Pour Ruben Braeken (B + Architecten) : « la restauration en soi est déjà circulaire. L’appellation de ‘construction circulaire’ est récente, mais ses principes sont appliqués depuis longtemps. Nous remarquons cependant un problème dans les ajouts et les modifications qui sont apportés au bâtiment : c’est là que, très souvent, on ne réfléchit pas de façon circulaire. »
Les circonstances jouent également un rôle important, estime Jan De Busser : « il n’est pas toujours possible de procéder de manière circulaire. Si la mission de conception fait partie d’un appel d’offres public, par exemple, il est avant tout prioritaire de remporter la mission. Si le client n’impose pas lui-même des conditions circulaires, il y a de fortes chances qu’elles ne soient pas prises en compte. Car dans un appel d’offre traditionnel, c’est le maître d’ouvrage qui détermine les choses et la marge de manœuvre est limitée. Ceci dit, nous sommes de plus en plus régulièrement impliqués dans un projet dès sa conception. »
Dans ce domaine des appels d’offres, une lueur d’espoir existe néanmoins, selon Frédéric Dekeuleneer (ActiNa – Galtane) : « Désormais, au nom du développement durable et selon le principe des Achats Publics Responsables, les administrations pourront accéder à des produits et à des matériaux authentiques et issus de matières naturelles, sans devoir choisir le moins cher. »