Le réemploi comme rassembleur des acteurs de la construction

Dans l’ancienne chocolaterie Leonidas d’Anderlecht à Bruxelles, un stock saisissant de matériaux récupérés de chantiers de déconstruction attend une nouvelle destination. Il s’agit des dépôts du collectif Rotor et de son antenne autonome RotorDC (Rotor Deconstruction / Consulting), qui viennent de recevoir le Prix 2018 Schelling Architecture pour leurs projets pionniers dans le domaine du réemploi. Catherine De Wolf a rencontré l’architecte Michaël Ghyoot. Au sein de Rotor, il est porteur de projets et co-auteur du livre « Déconstruction et réemploi » avec l’ingénieur-architecte Lionel Devlieger, le bio-ingénieur et membre fondateur de RotorDC Lionel Billiet, et l’architecte André Warnier. Première partie d'une longue et passionnante interview.

 

En effet, le réemploi se situe au centre de leurs activités : lors de la transformation ou de la démolition de bâtiments, ils interviennent pour récupérer les éléments en bon état afin de leur trouver un nouvel usage dans d’autres projets. A ne pas confondre avec le recyclage[1] (où le bois devient des copeaux, le béton des granulats) qui, lui, implique une transformation plus profonde des matériaux. Le réemploi n’est pas seulement une réponse au consumérisme et à l’impact environnemental de la construction, mais aussi un créateur d’emploi notamment au sein d’entreprises d’économie sociale et solidaire (ESS). C’est une opportunité de créer de nouvelles professions et de faire revivre des métiers tombés en désuétude depuis le début du 20e siècle : les déconstructeurs, les nettoyeurs, les découpeurs, les décapeurs, les réparateurs, les restaurateurs, les inventoristes, les testeurs, ou encore les remonteurs[2].

 

Rotor mène diverses activités : le design, l’assistance aux concepteurs et à la maîtrise d’ouvrage, la recherche, les expositions. Quelles sont ces différentes casquettes de Rotor ?

M.G. « Une première casquette est celle des missions d’aménagements intérieurs. Une deuxième est la consultance autour des questions du réemploi, aussi bien pour des pouvoirs publics que pour des prestataires privés, à différents stades du projet et à différentes échelles. Une troisième est de contribuer au débat de fond sur la question de la durabilité, de l'économie circulaire, ce qui se traduit par des publications, des expositions, des conférences, mais aussi des workshops ou des studios que nous animons dans des écoles d’architecture ou de design.

Et puis il y a Rotor DC, qui existe comme une entreprise autonome depuis 2016 et qui est une sorte de spin-off issue des recherches menées au sein de Rotor. Rotor DC se focalise principalement sur la déconstruction d’éléments de construction dans des bâtiments voués à la démolition et sur la remise en circulation de ces éléments.

Bien que nous soyons fermement ancrés à Bruxelles, nous sommes assez mobiles : j'ai par exemple des collègues qui reviennent d'animer un studio à Columbia à New York et qui, avant ça, avaient organisé un studio de master à la TU Delft aux Pays-Bas. On a aussi pas mal d’interaction avec des maîtrises d’ouvrage en France, comme Paris Habitat. »

 

Quid du réemploi en Belgique ?

M.G. « En ce qui concerne la Belgique, et Bruxelles en tout cas (que nous connaissons mieux), il est assez remarquable de constater que les pouvoirs publics se sont emparés de la question du réemploi et soutiennent de façon conséquente la cause. À Bruxelles par exemple, le Programme Régional en Économie Circulaire (PREC) constitue une matérialisation concrète de ces ambitions. Il s’agit d’un plan formulé par différents ministères de la Région pour favoriser une transition vers l'économie circulaire, notamment dans le domaine de la construction. Je pense que Bruxelles reflète ce qui se passe à l'échelle européenne. Au cours des dernières décennies, il y a eu un très gros focus sur la performance énergétique des bâtiments : on a mis en place des mesures et même des obligations réglementaires pour que le bâtiment consomme moins d'énergie pour le chauffer, refroidir, etc. et on a donc imposé des seuils de consommation énergétique en phase d’usage. Maintenant, on se rend compte que, sans préciser les moyens pour atteindre ces seuils, on n’est pas à l’abri d’effets pervers. Pour caricaturer, au lieu de brûler du pétrole pendant 30 ans pour chauffer un bâtiment, on utilise la même quantité de pétrole mais sous forme d’isolant pour emballer les bâtiments dans de grosses couches d’isolant. De ce point de vue, l'impact environnemental global n’est pas forcément meilleur (ndlr. la différence entre carbone opérationnel et carbone intrinsèque est expliquée dans Apprendre l’ingénierie dans un livre d’histoire). Le réemploi s’inscrit dans une réflexion globale sur le cycle de vie des matériaux. L’économie circulaire semble être une suite logique de la réduction de la consommation d'énergie globale dans les bâtiments. »

 

Comment définissez-vous l’économie circulaire ?

M.G. « On fait le tour de la question dans notre dernier livre (ndlr. Déconstruction et réemploi). Il existe beaucoup de débats autour de cette notion d'économie circulaire. À titre personnel, je pense que ce qui fait le succès de cette notion pour le moment c'est justement qu'elle donne lieu à de multiples définitions et interprétations. On pourrait collectionner les définitions et les additionner presqu’à l'infini. Je pense que c'est justement le fait que chacun puisse y projeter ce qu’il entend qui crée des situations nouvelles ou étonnantes, par exemple en faisant se rencontrer autour de la table des gens qui ne se seraient peut-être pas parlé sans cette notion qui agit, pour le moment du moins, comme une sorte de dénominateur commun, de rassembleur des acteurs de la construction. »

 

Découvrez la suite et la fin de cette interview dans un prochain article.

 

[1] Ghyoot, M., Devlieger, L., Billiet, L., Warnier, A. (2017) “Déconstruction et réemploi. Comment faire circuler les éléments de construction. » Rotor, Presses polytechnique et universitaires romandes, Le bâti bruxellois, source de nouveaux matériaux (BBSM), p 8.

[2] Ibid, p. 212.

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