Ce mardi 14 mars, lors de la cérémonie de remise des Belgian Building Awards, deux tables rondes ont été organisées, dont une en français. Fabien Dautrebande (oPla architecture, membre du jury des BBA) et Kenley Dratwa (Bauclub, mention honorable dans la catégorie 321 Façade) sont intervenus sur le thème « Habiter autrement ». Voici quelques morceaux choisis.
« Nous tentons de nous amuser dans le métier que nous exerçons et nous tentons aussi de réinterpréter et de proposer des nouvelles manières d’habiter, surtout à Bruxelles. » Avec ces mots, Kenley Dratwa (Bauclub) lance parfaitement la discussion modérée par Philippe Selke, rédacteur chez Palindroom.
Philippe Selke : « On a l’impression que monsieur et madame tout-le-monde hésitent entre deux typologies : la maison ou l’appartement. Or, il existe une foule d’autres possibilités qui s’ouvrent désormais à eux. Est-ce que le changement s’opère ? »
Fabien Dautrebande : « Oui, effectivement. Le modèle qui a été développé après-guerre, celui de la maison unifamiliale quatre façades, tout le monde se rend compte aujourd'hui qu'il a atteint ses limites : prolifération d'infrastructures, difficultés d'isolation, parfois même isolement social, j'en passe et des meilleures. Il y a beaucoup de limites à ce modèle-là et effectivement, il va falloir retravailler sur l'existant. Je pense que les projets que l'on a vus aujourd'hui dans la catégorie « 3, 2, 1 Façade » sont assez exemplaires pour remédier à cela. Il faut, peut-être, réinterroger des typologies oubliées. Je pense par exemple à celle de la cité jardin, qui rencontre à la fois la volonté d'habiter dans un environnement vert, mais aussi qui s’adapte à une nouvelle demande. »
P.S. : « Est-ce qu’il y a une volonté de la part de vos clients d’aller dans le sens de cette nouvelle demande, ou est-ce qu’on est encore très classique ? »
Kenley Dratwa : « Pour nous, en tout cas à Bruxelles, et je pense que tous les architectes ici y sont confrontés, au-delà du politique ou de l'urbanisme, il y a peut-être un intérêt à sensibiliser chaque citoyen à l'architecture et à son espace construit ou non construit, à l’espace qu’il vit et comment adapter son habitation à son usage, et adapter son usage à son habité. L’un va avec l’autre et je pense qu’on serait plus efficaces, ambitieux et enthousiastes par rapport à l’architecture qu’on peut proposer. Nous aurions alors des débats plus construits, plus constructifs avec nos clients, la maîtrise d’ouvrage. »
P.S. : « Il faudrait tout de même de sérieux arguments pour faire quitter à monsieur et madame tout le monde sa maison quatre façades et INVESTIR un habitat plus collectif. »
F.D. : « Je ne connais pas les statistiques, pour être franc, mais c'est certain qu'aujourd'hui, il y a des forces extérieures qui nous poussent dans ce sens. Je pense à la crise énergétique, la question des ressources, la disponibilité et l'impact environnemrtal des matériaux. Toutes ces questions-là poussent vers des modèles qui ne sont plus celui de la maison quatre façades. Il y a probablement aussi un aspect générationnel à la question. Chez la jeune génération, que je côtoie en tant qu'enseignant, je remarque vraiment une attention à ces questions-là qui sont, chez ces étudiants, posées de manière très, très directe. Pourquoi avoir un tel déploiement d’infrastructures pour produire des maisons quatre façades finalement, dans lesquelles aussi les rapports sociaux soient amoindris ? Ça me fait penser d'ailleurs à cette presque polémique sur la ville des quinze minutes qu'il y a aujourd'hui en Grande-Bretagne, où ils cherchent à mettre en place un système finalement où à quinze minutes de chez soi, on a accès à une boulangerie, une pharmacie, peut être un point de transport public en commun train, bus, etc, qui sont vraiment accessibles pour ne plus être plus dépendants de systèmes de mobilité comme la voiture. Et d'un autre côté aussi, il y a des institutions comme le BMA, le Bouwmeester à Bruxelles, le Bouwmeester en Flandre, d'autres institutions et des villes qui font des études et de la recherche par le projet. Ça commence en Wallonie. Il y a des expositions qui sont là et donc des choses émergent de notre côté aussi. Et je pense que ce mouvement est en train de s'accélérer avec les pressions extérieures et va aboutir, je pense, à une nouvelle manière de considérer la ville, l'urbanisme et l'aménagement urbain aussi chez les particuliers. »
P.S. : « Je voudrais qu’on parle de l’architecte dans cette transition vers un autre habitat. Est-ce que l’architecte pourrait convaincre monsieur et madame tout le monde d’aller VIVRE en appartement ? »
K.D. : « Il pourrait, c'est une question de discussion avec nous. Je reviens sur ce que je disais sur la sensibilisation et les différentes manières d'habiter. Et je pense que ça pourrait commencer très tôt. Quand on demande à un enfant de dessiner un logement, il dessine un toit à deux pentes et une porte et deux fenêtres. Et de ce fait, évidemment, on peut raconter une histoire ensemble avec un client et on est assez vite confronté à l'administration communale, régionale, aux règles avec lesquelles on peut jongler, les contraintes avec lesquelles il faut jouer. Et c'est ce qui rend notre métier d'autant plus excitant. Mais c'est effectivement souvent difficile. Ça amène souvent beaucoup de frustration et il y a sûrement des améliorations à trouver, surtout à Bruxelles. »
P.S. : « Que penser des écoquartiers ? »
F.D. : « Il ne suffit pas de cocher une série de cases qui peuvent effectivement servir de checklist le cas échéant et aider à la conception. C'est bien sûr insuffisant. Il y a un rôle de dialogue, de planification avec les pouvoirs publics, avec éventuellement un développeur ou un promoteur, pour réfléchir à ces questions. Un écoquartier à quinze kilomètres d'une ville qui n'a pas un rapport d'infrastructure fort avec la ville risque de ne pas bien marcher, tout simplement. On se déploie encore sur beaucoup de surface, alors qu'on sait qu'aujourd'hui la question du sol est essentielle. Cet été, il y avait des pénuries d'eau en Flandre, c'est vraiment incroyable. Cette question du sol et de l'usage du sol est absolument prioritaire. Il va falloir déconstruire pour retrouver peut-être un peu plus de densité, mais en contrepartie de plus grands espaces verts voués par exemple à l’agriculture, pour avoir une production agricole à proximité de chez soi ou peut-être des infrastructures énergétiques. »
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