Charleroi, ville nouvelle
Pour que les gens reviennent habiter en ville, il faut leur en donner l’envie. C’est à cette mission que le « bouwmeester » de Charleroi et son équipe s’activent. Et il y a du travail… Charleroi est probablement la ville belge qui a hérité du plus lourd passé industriel et dont l’image est la plus écornée. Et pourtant, depuis un peu plus de quatre ans, les choses changent. Radicalement et relativement rapidement. Pour comprendre comment s’opère ce renouveau urbain, nous avons rencontré Georgios Maillis, bouwmeester de Charleroi, dont le bureau communique avec celui du bourgmestre. Tout un symbole. Un entretien mené par Éric Cloes pour Le Vif.
Comment est née la fonction de bouwmeester à Charleroi et quelle est la mission qui vous a été confiée ?
L’initiative vient du bourgmestre Paul Magnette, qui s’intéresse jusqu’à la passion à la ville comme lieu de vie, et qui s’est inspiré de l’action des bouwmeesters (maîtres architectes, ndlr) en Flandre et à Bruxelles. À sa demande, le collège a lancé un appel à candidature et j’ai eu la chance de remporter le poste. La mission que nous avons définie ensemble est plus diversifiée que celle des autres bouwmeesters, dans le sens où nous avons décidé d’une mission de redynamisation et de requalification de la ville au sens large. Outre l’approche architecturale, urbanistique et paysagère de la ville, la mission comprend aussi la création d’une nouvelle identité graphique, ainsi qu’une implication dans l’événementiel comme les activités culturelles et les projets publics d’animation urbaine. Pour répondre à ces objectifs variés, j’ai constitué une équipe pluridisciplinaire composée d’un designer, d’un graphiste, d’une architecte paysagiste et d’un architecte. Je suis moi-même Carolo d’origine et architecte diplômé de La Cambre à Bruxelles.
La proximité de votre bureau avec celui du bourgmestre est-elle le fruit du hasard ?
Non, absolument pas. La localisation de mon bureau a été voulue par le bourgmestre pour donner une reconnaissance officielle à ma fonction qui était nouvelle dans l’organisation des services de la ville. Contrairement à d’autres bouwmeesters qui doivent se battre avec le pouvoir politique pour faire entendre leur voix, j’ai la chance de pouvoir travailler en étroite collaboration avec le bourgmestre et de pouvoir compter sur son soutien politique dans la mise en œuvre des actions et des plans que notre cellule développe. Et ceci est très important car, sans soutien politique, la fonction de bouwmeester est vouée à l’échec. Quoi qu’en disent certains, notre mission est aussi « politique », dans le sens étymologique et noble du terme, c’est-à-dire que nous devons être capables de prendre des décisions et de mettre en œuvre des actions qui sont bonnes pour la ville et ses habitants. Nous devons donc pouvoir nous montrer critiques, mais aussi faire des compromis tenant compte de facteurs humains ou matériels.
À six mois du terme de votre mission, quel bilan provisoire tirez-vous de votre action ?
Sans vouloir paraître prétentieux, je suis assez satisfait des résultats que nous avons pu engranger. L’avantage de Charleroi est que cette ville n’intéressait personne. Ce qui veut dire d’une part que tout était à faire, mais aussi que nous n’avons pas rencontré beaucoup de résistance. Cela nous a permis de travailler efficacement et rapidement. Et comme le bourgmestre s’implique beaucoup dans le suivi et le soutien de notre travail, les projets se débloquent dans les meilleures échéances. Maxime Delvaux, un photographe d’architecture qui parcourt régulièrement la ville avec son appareil photo, me disait : « C’est incroyable de constater à quel rythme soutenu Charleroi est en train de changer ! » Il faut dire que le contexte politique nous est favorable et que les Carolos s’intéressent de plus en plus à ce que nous faisons, et commencent à s’impliquer dans la mise en œuvre de nos projets, notamment au niveau de l’événementiel.
Quelles sont les principales réalisations architecturales et urbanistiques que vous avez pu initier ?
Lorsque j’ai entamé ma mission, je ne suis pas parti d’une page blanche, j’ai pris un train en marche. Il existait déjà des projets en développement à Charleroi, comme par exemple l’hôtel de police de Jean Nouvel ou certains schémas urbanistiques. Il y avait de bons projets que nous avons soutenus tout en y intégrant notre réflexion là où c’était encore possible, et d’autres beaucoup moins bons dans lesquels nous ne pouvions pas nous reconnaître et que nous avons décidé de bloquer. Enfin, les projets que nous avons nous-mêmes initiés représentent une troisième catégorie. Parmi ces derniers, je citerai le projet « Charleroi District Créatif » (ou Charleroi DC) pour lequel nous avons obtenu 142 millions d’euros du FEDER (Fonds européen de développement régional, ndlr). Ce projet comprend notamment la rénovation du Palais des Expositions par les bureaux d’architecture DVVT (architecten de vylder vinck taillieu) de Gand et AgwA (Bruxelles), le nouveau Palais des Congrès de Julien Desmet en collaboration avec les architectes Goffart et Polomé, et tous les espaces publics de la zone Charleroi DC qui s’étend sur environ un quart du territoire de la ville haute. Nous travaillons actuellement aussi sur le futur campus des sciences, des arts et des métiers, le bâtiment Design-Innovation, le siège social et une centaine d’appartements sociaux de la société La Sambrienne, le master plan de la zone de la gare et le projet Left Side Business Park qui comprendra des bureaux, des logements, des commerces, un hôtel et même une marina. Je souhaite en effet réhabiliter la Sambre en lui donnant une certaine largeur et en y créant une zone récréative. En fait, nous travaillons sur des projets qui permettront le retour des grandes fonctions métropolitaines en centre-ville. Nous attendons en effet de ces projets qu’ils fonctionnent comme des catalyseurs autour desquels se développeront de nouveaux logements de qualité, comme cela sera notamment le cas autour du centre commercial Rive Gauche.
Ce centre commercial tient-il ses promesses de redynamisation du centre-ville ?
Vraiment très bien ! C’est un des meilleurs centres commerciaux belges. Même le développeur est impressionné par les résultats réalisés sur les premiers mois d’activité. Je pense qu’une des raisons du succès est que nous avons pu imposer que le centre soit un nœud de circulation en créant sept accès au lieu de la « rue » à deux accès qui caractérise la plupart des centres commerciaux. Les premiers impacts positifs du centre sur le quartier sont la rénovation des petits commerces aux alentours et l’arrivée de nouveaux cafés et restaurants... C’est un quartier qui reprend vie. Cette évolution est soutenue par la rénovation des berges de la Sambre, qui permet d’intégrer à nouveau le concept de la promenade en ville. L’étape suivante consistera à démolir les nombreuses maisons insalubres et à reconstruire des projets de logements de qualité. Notre objectif est de redensifier la ville et d’attirer la classe moyenne vers le centre-ville. En fait, chacun de ces projets est une pièce du puzzle qui permettra de reconstruire la ville. En Wallonie, la ville est encore trop souvent envisagée comme un pis-aller, car nous manquons totalement de « culture urbaine », bien plus présente en Flandre que chez nous. L’objectif de notre travail est de remettre la ville en valeur en la rendant agréable, belle et attirante.
Comment comptez-vous intégrer le petit ring dans les aménagements futurs ?
Le petit ring est là et il faut l’assumer. Le supprimer aurait un grave impact sur la mobilité en ville. Pour les trois quarts aérien, il a une présence forte dans la ville et la meilleure manière de l’intégrer est de construire à proximité des infrastructures et des immeubles de taille suffisante pour qu’ils puissent dialoguer avec lui. Si l’on doit construire des tours en ville, c’est dans les environs du ring qu’il faudra les implanter, comme c’est le cas du Left Side Business Park ou du projet River Towers.
Si vous deviez être réélu lors du prochain appel à candidature, quelles seraient vos nouvelles ambitions ?
Nous avons jusqu’à présent concentré nos efforts sur le centre-ville, mais nous travaillons depuis un an sur des projets de redéploiement des autres districts. Il s’agit tout d’abord de sélectionner les principaux cœurs urbains à requalifier, en fonction de leur situation sur un axe de circulation (routes nationales avec lignes régulières de bus ou lignes de métro, ndlr) et des opportunités de développement qu’ils présentent. L’idée est de permettre à ces quartiers excentrés de recevoir un traitement comparable à ce que nous faisons actuellement sur le centre-ville, à savoir la réimplantation d’activités urbaines et d’un habitat de qualité, ainsi que la réhabilitation des espaces publics. Une réflexion sur les équipements publics comme les écoles et les crèches est menée en parallèle de manière à les adapter à ces zones de redéploiement et à l’arrivée de nouveaux habitants. Sur les grands axes, nous envisageons aussi la création de nouveaux quartiers. Les zones situées à l’écart de ces axes seront exemptées de densification et nous y privilégierons le retour de la nature et d’une atmosphère plus « rurale ».
Et qu’en est-il de la réhabilitation des grandes friches industrielles ?
C’est un projet majeur pour Charleroi et il est clair que cela fait partie des ambitions de redéploiement sur le long terme. Le problème des friches industrielles sera probablement abordé dans le cadre de la prochaine législature. La priorité pourrait être donnée à la Porte Ouest de la ville, où 180 hectares sont actuellement à l’abandon. Mais, vous savez, le temps de la ville est nettement plus lent que le temps humain… Je pense qu’il faudra encore vingt ans avant que les projets actuels soient tous réalisés et que Charleroi soit enfin perçue différemment.
Pour en savoir plus sur le développement de la ville de Charleroi, lisez Charleroi Métropole – Un schéma stratégique 2015-2025, par Georgios Maillis.